Un grain de folie et une imagination sans limite m'invitent à plonger dans le temps et l'espace à la rencontre de personnages historiques, mythiques ou légendaires afin de partager un moment de leur vie... Une histoire revisitée sans prétention dans un décor dressé sur une table pour deux. Invitation au rêve et à l'évasion. Ne craignez rien et suivez votre conteuse de tables!
Par Catherine Gerard
Bonsoir Madame, vous me voyez bien aise de vous trouver ici. Vos joues ont recouvré ce rose qui tant vous sied , vous m'en voyez ravi. Ravi, et soulagé. Que faites vous donc madame qui semble accaparer tous vos esprits au point de n'avoir pas entendu arriver votre ami. Oh vous écrivez.
-En effet monsieur j'entretiens avec Ninon de Lanclos une relation épistolaire. Vous rappelez vous, notre rencontre dans ses salons?
- Comment oublier cet instant où j'ai croisé ce regard... plein de promesse.
- Scellant ainsi une tendre amitié! Une relation épistolaire, disais-je, très riche et amicale qu'il me tient à cœur de privilégier tant nos échanges me sont salutaires. Elle seule comprend mes états d'âmes et se garde bien de vouloir me juger. En plus de soigner mes chagrins et mes peines ces échanges sont un nouveau défi que j'aime à relever puisque vous avons fait le choix de les écrire en vers.
- Vous versifiez madame? Serait-ce là un autre de vos talents?
- Je prends cela pour un jeu, certes bien agréable. C'est comme si le tempo guidait mes pensées en musique et couchait chaque mot ainsi sur le papier syllabe après syllabe jusqu'à faire douze pieds. La rime certes plate je l'entends; vient tout naturellement; je prends un vif plaisir à ce divertissement.
- Me feriez vous l'honneur de me lire quelques lignes?
-Ciel, j'aurais bien trop de honte à ce que vous lisiez! Ce ne sont que bluettes écrites sans prétention.
- Sans doute plein de fraîcheur. Rien de plus délicieux que lire les pensées d'une femme laissant divaguer son imagination sans chercher à impressionner son public. Laissez moi découvrir un instant ce qu'exprime votre cœur. J'aimerais tant savoir de vous Madame.
- Vous voir sourire ou rire en me lisant m'ôterait à jamais l'envie de m'y remettre.
- Pourquoi rirais je madame? Je suis persuadé que cela est charmant et peut-être pourrais je vous prodiguer quelques conseils
- N'y prenez pas ombrage mais je n'ai nul intention de briguer votre talent reconnu de tous. Qu'est ce que le grand Racine, célèbre dramaturge, pourrait trouver dans ces vaines bafouilles.
- De la fraicheur madame , je vous l'ai dit et l'expression de votre cœur que je ne demande qu'à connaître . Allons, daignez me faire cet honneur. Vous ne sauriez me refuser ce privilège. Devrais je vous supplier le genou à vos pieds?
- De grâce Monsieur Racine, entendez ma pudeur. J'aurais bien trop de honte à vous ouvrir mon cœur. Il est pensées profondes qu'on ne peut dévoiler qu'en présence d'âmes folles sachant vous écouter.
- Je vous écoute madame.
- Vous Racine qui faites revivre dans vos tragédies ces héros sortis de l'antiquité, qui toujours portez les passions humaines à leur acmé. Vous qui avez le soutien et l'admiration du Roy et dont les œuvres seront portées à la postérité envisagez violer ma chère intimité?
- La peste soit de votre intimité! Quel cœur mettez vous donc à freiner mes ardeurs . Souffrez cependant madame que je m'embrase à l'idée de vous lire, y découvrant ainsi, j'ose encore espérer, ce qui ouvre les portes de vos jardins secrets.
-Cessez monsieur, voyez l'état où vous me réduisez..."
Racine me tendit alors quelques pâtes de fruits
" Oseriez vous tenter de me circonvenir de quelques friandises?
-Je veux que vous m'accordiez confiance et amitié en me laissant vous lire. Voyez mon affliction devant votre retenue. La déception me serre le cœur, moi qui me croyais votre ami et confident, il n'en est rien, je m'en repends.
- Allons, comment vous résister, je vous laisserai voir ce pli si vous me promettez de ne point vous moquer et d'oublier dans l'instant ce que vous y lirez.
- Ah Catherine, enfin vous accédez à ma requête. Vous ne regretterez pas la confiance qu'enfin vous m'accordez et qui fait de moi votre humble serviteur!
- Allons Jean, lisez-vite, que l'on en finisse avant que la honte ne m'accable.
A Ninon
Ma très chère et dévouée amie,
Votre chaleureuse lettre a consolé mon cœur meurtri
et je dois bien hélas admettre devoir encore garder le lit
Le regard dont vous admiriez l'étincelle a bien perdu de son éclat
et c'est ce jour d'une main blême que je réponds le cœur bien las.
Souvenez vous l'année dernière comme riions de ces ébats
que je vous confiais, sereine, les yeux baissés et à mi voix.
Qui aurait pu prédire cette peine ici bas
d'ainsi voir s'éloigner celui qui fut pour moi,
un ami, un amour un amant quand bien même
la distance et le temps suscitait un dilemme.
Comment imaginer lui butinant ma bouche
qu'il pourrait sans regret renoncer à ma couche.
Comment dire le chagrin qui en mon sein résonne,
devinant qu'en son cœur je ne suis plus personne
Et si aucun de vous n'a su s'en émouvoir,
voyons si ce récit mouillera vos mouchoirs.
A chacune de ses lettres trahissant ses pensées,
j'imagine mon corps chaque nuit le hanter.
Dois je lui avouer combien mon sein trésaille
rien qu'en imaginant sa main frôlant ma taille
Peu me chaut qu'il m'aima s'il ne sut me le dire,
sans aveu de sa part comme je me vois flétrir
Timide direz vous; oui réservé peut être
devant un auditoire il parait se repaître
Et quand l'envie le prit d'enfin me voir jouir,
à l'oreille murmurant il sut bien me séduire.
m'enjôlant de paroles plus douces que le miel,
il me coupa le souffle et je touchais le ciel.
Il y eut des jamais, des toujours et ce "nous"
dont ne reste à ce jour qu'une larme sur ma joue.
Forte de l'assurance qu'au retour il aspire
je pourrais lui prouver ma patience et en rire
là je n'aurai de cesse de le reconquérir
dussé-je pour cela, mon amie, en mourir.
Un mois, un jour, une heure contre lui me blottir,
et sentir un instant tout son être frémir.
Encore une fois encore connaitre enfin l'extase,
communion infinie de nos êtres en phase
dont les âmes unies pourraient se reconnaître
et de là notre amour en viendrait à renaître.
Je n'attends rien de lui ni serment ni promesse,
simplement de l'instant partager la caresse.
Un moment hors du temps ou rien ne peut atteindre
un amour innocent que l'on se saurait feindre.
Sentir encore sa peau, plonger dans son regard,
répondre à son sourire et me montrer sans fard
Nos mains à l'unisson preuve de la tendresse,
complices effrontément telle une tape sur les fesses.
Que perdure à jamais cette douleur infame
qui me rappelle sans fin combien je fus sa femme
Et si j'apprenais qu'il puisse aussi souffrir
je pourrais avouer une once de plaisir.
Car c'est bien de son choix que nous voici hagards
à chercher un chemin ou nos deux cœurs s'égarent
Il faut bien qu'en dépit de ce que corps exprime
convenir qu'entre nous le sentiment domine.
Et si l'envie me vient de vouloir(e) nier
que mon âme et mon corps le désire à jamais
Sachez me faire taire et expier mon erreur
rien ne saurait atteindre le lien de deux âmes sœurs.
Ainsi madame j'en viens à vous écrire
ce que mon cœur en peine ne saurait point lui dire
car enfin ma fierté se trouverait blessée
s'il venait à apprendre combien je peux l'aimer.
Soyez bien assurée d'une amitié sans faille,
de la confiance d'un cœur qui à ce jour défaille.
Gardez bien ce secret que vous ne sauriez taire,
je crois assurément que vous saurez qu'en faire.
Votre dévouée et reconnaissante
Catherine
"Une bien jolie écriture, madame , chaque plein, chaque délié trahit vivant en vous, la sensualité.
Les mots sont bien choisis, la tournure agréable, on se plait à vous lire mais le sujet m'assaille.
Je pense que cet écrit trouverait toute sa profondeur s'il était lu de votre bouche.
Lisez madame, lisez , sans déclamer, sans emphase, sans crier...
Lisez. Vivez chacune de vos paroles, souffrez chacun de vos mots ,
dîtes le dans un souffle, un murmure, un sanglot .
Laissez moi croire juste un instant que je peux être celui qui autant vous inspire...
Lisez madame lisez, là je vous en conjure, donnez à vos prières toute leur démesure."
Je lus alors, à voix basse, presque inaudible retenant chaque larme qui me montait aux yeux, ressentant au fond de moi mille émotions sublimes qui me firent revivre chacun de nos émois.
Lorsque je cessai de lire. Il y eu un long silence.
Racine resté debout tout ce temps derrière moi, murmura solennel
"Je connais désormais le fond de votre cœur, nulle place pour moi, combien je le déplore. Etre aimé à ce point même par vous, madame, peut paraître enivrant mais peut troubler un homme, parfois à vos dépens."
Il reprit ses effets et sortit sans un mot.
J'aurais du m'abstenir et faire taire mes maux.
Faut-il qu'un si grand cœur montre tant de faiblesse ?
Au travers des périls un grand coeur se fait jour. Que ne peut l'amitié, conduite par l'amour !
Ai-je pu résister au charme décevant...
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