Luna Nera, l'une des nôtres

09.04.2020

Ade n'a aucune idée de sa condition lorsque, seule au monde, elle est venue, guidée par l'invisible, demander asile en nos murs. Iarana, Leptis ma compagne et moi attendions sa venue. La mère de cette jeune femme était l'une des nôtres, peut-être la plus puissante. Au moment de mourir dans d'atroces souffrances, elle nous a confié sa fille chérie qu'elle savait en grand danger.

Depuis son arrivée chez nous, Ade a appris à accepter sa condition et à maitriser ses dons. La première fois où elle a entendu ces voix à l'intérieur d'elle même , elle s'est cru folle ou possédée ou bien encore victime du sort de l'une d'entre nous. Il n'en est rien, un immense pouvoir grandit en elle et elle entend en sa tête, en son sein, les cris, les prières, les supplications de nos sœurs soumises à la torture et qui portent en Ade et en elle seule leur ultime espoir.

Ce soir, alors qu'elle rêvasse plus qu'elle n'étudie, Ade pousse un cri déchirant qui me tire du sommeil. Alertée je me précipite et la trouve dans un état de torpeur dont elle sort peu à peu sous mon regard inquiet.

" Il y a une autre femme, j'entends distinctement sa voix.

- Une des nôtres Ade? En es-tu certaine?

- Elle pleure en silence, elle désespère, elle souffre, son âme hurle sa détresse...

- Sais-tu où elle se trouve? Cherche là, Ade, concentre toutes tes forces sur sa voix.

- Laisse moi du temps... Je la vois, je la vois nettement "

Moi, je suis Tebe, une de celles que vous appelez "sorcières".

Grâce au pouvoir de Ade, nous avons pu sauver plusieurs de nos sœurs de la folie des hommes se croyant investis par Dieu, du devoir de nous éliminer. Jugées comme indignes et viles créatures ayant voué nos âmes au Diable, ils n'ont de cesse de nous pourchasser et de nous voir périr dans les flammes.

Après avoir repris ses esprits, Ade me décrit l'endroit où cette nouvelle victime est gardée prisonnière. Je réunis très vite mes soeurs , il nous reste peu de temps avant l'aube et nous devons agir vite si nous voulons arriver à temps pour la délivrer. Le temps de prendre les armes et de seller les chevaux, nous voilà parties Iarana, Leptis et moi.

Si Iarana et moi avons développé, à travers les années, d'inestimables pouvoirs, il n'en est rien pour Leptis. Et bien qu'elle soit dotée d'une âme de guerrière et manie les armes avec dextérité , je ne peux m'empècher au delà de l'insondable amour que je lui porte, de craindre pour elle.

Par bonheur nous avons trouvé aisément l'endroit décrit par Ade. tandis que Leptis veille à l'extérieur, Iarana n'a aucune difficulté à contenir les gardes postés à l'entrée de la geaule retenant prisonnière l'inconnue.

D'une simple formule, j'ouvre la lourde grille et découvre cette femme inconsciente, suspendue par les poignés ensanglantés par le cisaillement de la corde rêche qui les retient.

Très vite , à l'aide d'une dague, je romps les liens, libère ce corps inerte et l'allonge doucement. Je découvre alors le visage meurtri de cette femme et lui donne un long baiser espérant ainsi, enfin je le pense, déceler entre ses lèvres le moindre souffle de vie.

C'est avec un immense soulagement que j'entends un faible gémissement et me tourne reconnaissante vers le regard noir et médusé de Leptis. Ignorant le trouble qui s'installe je l'exhorte à nous presser.

" Rentrons prestement, grâce au ciel, elle est en vie."

Le temps semble long lorsque l'on attend. Le jour se lève lorsque Ade aperçoit au loin la poussière soulevée par le galop de nos chevaux.

"Les voilà! " crie-t-elle . Les jeunes femmes se précipitent alors à notre rencontre. A peine arrivée, je saute de mon cheval et ordonne vivement

" De l'eau, des onguents, des linges propres, préparez une couche, de quoi la désaltérer. Grâce à ce don, Ade, elle est en vie! Remercie la force qui est en toi. "

Tandis que la nouvelle venue repose, ses blessures pansées , mes sœurs et moi tenons conseil. Si la plupart d'entre nous considèrent son arrivée comme une nouvelle bénédiction de l'univers, Leptis se montre réservée à son égard. Réservée est ici un euphémisme, elle se montre méfiante et envisage même sa présence de mauvais augure.

" Je souhaite être entendue, dit-elle, cette femme n'est pas des nôtres! "

Je rétorque alors, qu'elle non plus, même si elle partage nos vies depuis plusieurs années, n'est pas à proprement parler des nôtres. Mais je revois à ce moment le baiser donné à l'inconnue et comprends ce qui anime sa hargne.

Il fallait la rassurer, je décide alors de m'entretenir avec elle afin de lui prouver qu'elle ne doit en aucun cas craindre de cette présence étrangère.

Je lui prodigue les caresses les plus douces, les baisers les plus tendres et l'aime de tout mon être pour la convaincre de ma fidélité et l'amener doucement à ne plus voir cette femme comme une menace. L'idée même de perdre la confiance de mon amante me perturbe à mourir.

J'ai du me montrer très convaincante car Leptis , elle même, m'invite à partager seule le repas avec notre hôte. Il est temps pour notre communauté de connaître le nom de la nouvelle venue et de découvrir le pouvoir qui est sien.

Reconnaissante, je baise la main de mon aimée, l'assurant encore de mon amour et de ma gratitude.

Ade s'affaire alors à allumer les bougies et à servir les boissons fraîches tandis que notre invitée se présente, hésitante et fébrile devant moi sous le regard inquisiteur de mes sœurs qui, sur un geste de ma part quittent les lieux.

" Approche, ne crains rien. Laisse moi te regarder, tu n'es pas d'ici… Allons, prends place près de moi, tu as grand besoin de reprendre des forces. Quand tu seras rassasiée, tu me diras qui tu es même si au fond de moi, je le pressens déjà. Allons, mange, bois à ton aise . Une seule question avant d'entamer ce repas, dis moi, quel est ton nom?"