Le pacte des Loups, la bête du Gévaudan

13.01.2017

Quelques coups contre la porte et aussitôt la voix d'un homme

"Qui va là?

- Catherine, chevalier, marquise d'Aubigny. Laissez-moi entrer je vous prie."

J'entendis le loquet et me glissai très vite par la porte entrebaillée et refermée juste derrière moi.

"Marquise, jugez-vous prudent de sortir à cette heure dans ces campagnes avec ce qui se trame?

- Je n'aurais certes pas du m'aventurer aussi loin du château mais j'ai entendu dire que vous et votre curieux ami alliez passer la nuit ici pour reprendre la chasse à l'aurore. Je me suis permise de vous apporter de quoi vous restaurer.

- Mani est plus qu'un ami, il m'a sauvé la vie en Nouvelle France, il est mon frère de sang.

- Qui est cette femme Grégoire?

- Une sotte doublée d'une inconsciente que la curiosité sans borne qu'est la sienne a poussé à braver le danger pour venir me questionner. Suis-je dans l'erreur marquise? Vous avez assisté à la découverte du corps de la dernière victime n'est ce pas?

"En effet monsieur de Fronsac mais mon regard n'a pu en soutenir la vision d'horreur.

- Pour moi qui suis habitué à ce genre de scènes, découvrir ces femmes, ces jeunes bergers

dévorés, égorgés me reste insupportable. Nous sommes en mars 1765 , cela fait près d'une année que le Gévaudan est plongé dans ce cauchemar. On compte les victimes par dizaines et personne n'a su jusqu'à présent mettre fin à ce massacre.

- N'y a-t-il donc personne capable de tuer ce loup?

- Il ne peut s'agir d'un loup Catherine, les nobles continuent à penser qu'il s'agit de l'un d'eux parce que ça les rassure mais les gens du peuple qui ont survécu aux agressions ne s'y trompent pas, ils parlent de "la bête".

- Que dit-on de cette histoire à Versailles?

- On en fait des chansons , des pamphlets, les gazettes se passionnent pour l'affaire et se raillent de Louis le quinzième, roi du pays des lumières , ridiculisé par un animal fabuleux. Ni les dragons du roi, ni ses louvetiers n'ont réussi à abattre la bête. Elle évite chacun des pièges , se détourne de toute carcasse empoisonnée... Passons à table, je vous dirai tout de cette histoire pendant le dîner.

- Votre frère ne se joint pas à nous?

- Mani est un indigène des Amériques, il est en communion avec la nature, son coeur saigne pour les loups tués sans raison. Cette nuit il chantera et dansera pour leur repos.

- Vous êtes donc sûr qu'il ne s'agit pas d'un loup? On rapporte que les balles n'ont aucun effet sur elle.

- La poudre, les plombs de mauvaise qualité, l'épaisseur de la fourrure pourraient expliquer l'inefficacité des tirs mais le peuple y voit la force surnaturelle de la bête.

- L'église a émis une hypothèse sur ces massacres;

- L'évèque de Mendes a amplifié la terreur des pauvres gens en leur disant que la bête serait un fléau envoyé par Dieu pour punir les hommes de leurs péchés et les femmes de leur coquetterie. Le roi, lui, a décuplé la haine du loup en gratifiant celui qui tuerait la bête de 6000 livres ... La peur d'un Dieu, l'attrait de la fortune...

- Mais vous chevalier, qu'en pensez vous?

- Moi, Catherine, moi, Grégoire de Fronsac, ne suis ici que pour faire le portrait de la bête et la naturaliser dès qu'elle aura été abattue.

- Certes mon ami, mais quelle est votre conviction profonde?

- Les théories sont multiples. Une meute de loups? Un loup gigantesque et enragé? Non il n'aurait pu survivre aussi longtemps à la maladie. Une hyène? Un animal hybride? Un loup garou? ...Où l'oeuvre d'un homme ayant dressé un animal à tuer...

- Vous pensez à un homme?

- Je suis un scientifique, j'observe, je mesure, j'étudie... Je découvre des corps dénudés, décapités, parfois victimes de sévices sexuels...Y voyez vous l'oeuvre d'un animal? d'un loup?

-Vous voyez Catherine, je consigne dans ce cahier chacune de mes observations, je retranscris chaque phrase , chaque mot prononcé par ceux qui ont pu voir la bête sans succomber; Je fais le croquis de chacune des descriptions qui m'en est faite... une bête hideuse au poil roux, avec une raie noire sur le dos... Ce matin , en étudiant les morsures profondes de sa nouvelle victime, j'ai égaré mon tricorne volontairement, éloignant ainsi les curieux du corps de cette pauvre enfant..."

Grégoire se leva, fit le tour de la table, et déroula un morceau de cuir

" Tendez la main Catherine, en cette époque vouée au libertinage, vous comme moi savons ce que l'on est capable de faire, caché derrière un "loup".... Je n'en connais aucun portant

des crocs de fer..."