Luna nera .3. la révélation

12.04.2020

Et voilà comment, lors de ce repas impromptu partagé avec Tebe, je lui ai raconté, malgré cette immense faiblesse, ma rencontre avec Dante, capitaine des Benandanti et cette stupide imprudence qui faillit me coûter la vie. Comment cet homme concupiscent a nié son propre désir charnel, condamné par l'Eglise en dehors des liens sacrés du mariage et a rejeté la faute sur moi, m'incriminant à tord d'avoir usé de charmes pour l'envouter, et m'accusant d'acte de sorcellerie sur sa personne.

La suite, Tebe ne la connait que trop pour l'avoir entendue d'autres bouches . Ces femmes, grâce au pouvoir de Ade, ont perçu mon désespoir, ma frayeur et sont venues à mon secours au péril de leur propre existence. Je leur dois mon salut, ma vie et ne trouve pas les mots pour exprimer mon infinie gratitude tant la douleur est présente. Ma chute de reins sent encore la morsure du fouet, mes épaules souffrent d'avoir tenté de retenir le poids de mon corps et la douleur de mes poignets cisaillés par la corde se fait attrocement ressentir. Cela sans parler du froid qui s'est emparé de moi... comme si déjà l'idée de la mort s'était insinué dans mes veines.

Profondément choquée et bien trop faible pour me restaurer convenablement, Tebe me fait accompagner jusqu'à ma couche. Je suis alors prise de fortes fièvres et mon sommeil est hanté d'horribles cauchemars mais grâce aux soins prodigués par Iarana qui ne dort jamais, je reprends peu à peu mes esprits et retrouve assez de force pour aller m'asseoir dans les jardins , sous un soleil bien pâle mais qui pour moi reflète les premières heures de ma renaissance.

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En me voyant ainsi, profitant de la fraîcheur matinale et tentant de faire le point sur ma situation, Tebe décide de me rejoindre afin de faire plus ample connaissance et d'en apprendre d'avantage sur moi et sur mes prétendus pouvoirs.

Hélas, que pourrai je lui dire, comment lui expliquer que bien que mon entourage m'appelle parfois sorcière ou magicienne, je ne détiens d'autre pouvoir que celui d'une imagination intense et d'un amour immense à prodiguer sans en attendre de retour.

et que c'est bien la curiosité et ce don de savoir m'évader du réel vers d'autres temps et d'autres lieux qui m'a entraînée dans cette histoire, leur histoire où j'ai bien failli me perdre mais où je n'ai pas ma place.

Tebe me pense en plein déni et me dit que grâce à la confiance qui ne manquera pas de s'instaurer entrer elle, ses sœurs et moi même, je finirai par découvrir, accepter et développer le pouvoir qu'est le mien.

Je suis selon elle , de celles que les hommes nomment sorcières, filles du ciel et de la terre, de ces femmes qui ont reçu la connaissance et le don et qu'il ne me reste qu'à découvrir le mien.

Il m'est pourtant impossible de leur dire tout ce que je sais, où se trouve le livre des royaumes que l'église convoite, qui est la véritable élue venue pour les sauver, ce qui les attend ce soir même lors de la fête des lumières… Rien, rien qui ne risquerait de changer l'histoire.

Je ne peux pas leur dire que tout est écrit, que tout doit advenir, qu'elles même ne sont pas qui elles pensent être… Je dois garder le silence, taire mon secret… mon prétendu pouvoir n'est pourtant pas celui de la clairvoyance, je ne sais rien de l'avenir, je sais juste parfois m'échapper du présent.

Je souffre pourtant de devoir garder mon savoir, la seule chose qui me réconforte est que , bien qu'encourant un danger imminent, cette communauté de femmes persécutées et pourtant extraordinaires sera sauvée par l'univers, par un événement connu et expliqué à mon époque mais qui en leur temps sera reconnu comme une manifestation du Diable… La lune noire, une éclipse solaire...

La meilleur chose pour moi est réellement de regagner mon époque. Non Tebe, je ne voyage pas dans le temps, bien moindre est mon pouvoir, chacun en est pourvu, il suffit juste de s'y plonger et d' accepter d'emprunter les chemins sinueux de l'imagination et du rêve.

Tebe insiste pour que je reste mais je trouve avec soulagement de l'aide dans le regard de Leptis , sa compagne et amante, j'y lis un mélange de peur , de haine et de jalousie qui invite mon hôte à baisser les armes et à me laisser choisir ma voie, celle qui me ramène chez moi.

L'heure du départ arrive vite , chacune de mes sœurs de rencontre me serre dans ses bras mais je lis dans leurs yeux une certaine inquiétude à me voir partir, inquiétude mêlée d'incertitudes, de déception ou de sentiment d'abandon pour les unes mais pour une autre… de soulagement.

Déjà, leurs visages s'effacent, la douleur en moi s'évanouit, plus la moindre trace de blessure sur mes poignets, je recouvre mes esprits et le goût rassurant du chocolat chaud qui coule dans ma gorge.

Comment leur dire ce que je sais, qu'elles ne sont pas ce qu'elles croient être mais juste les personnages sorties d'une autre imagination que la mienne et dont il m'a plu de lire les écrits.

Et que je suis simplement votre conteuse de tables

(qu'un zeste de coquetterie a failli perdre à tout jamais!)